Les poupées russes (1)

Quand on a une fille, toutes les femmes de la famille cherchent chez elle des ressemblances « elle a mon nez/ma bouche/mes mimiques », « elle tient ça de sa grand-mère/ arrière grand-mère ».

Parfois on n’a pas envie de ressembler à telle ou telle personne, parfois on ne veut pas devenir comme « notre mère ». Au final, ce n’est pas juste une mère qu’on refuse de voir mais toute une lignée de femmes dont les histoires se sont entremêlées, un dense tricot des cordons ombilicaux, l’emboîtement des poupées russes.

On ne devient jamais vraiment soi-même mais un filtre des autres. Tous les choix produisent des feedbacks générationnels et trament les destins carburant aux valeurs transmises ou rejetées.

Dans ta vie tu peux décider de voir les conséquences de tes choix à travers moi, ta grand-mère et ton arrière grand- mère. Tu peux voir la façon dont « être une femme » se transmet et se raconte avec tous les biais de récit que ça implique.

Je vais te raconter ta lignée des matriochkas.

Ton arrière grand-mère est née dans une famille de nobles. Je ne sais pas si cela a aujourd’hui une importance, mais dans l’histoire du couple de ma mère et de mon père, ça relevait d’une mésalliance.

Une famille de nobles avec un manoir, élevage de chevaux purs sangs arabes, domestiques…

Quand la deuxième guerre mondiale a éclaté, ton arrière grand-mère, avait 5 ans.

Sa famille devait quitter ses terres. L’argenterie, les bijoux et divers trésors ont été enterrés quelque part. Les domestiques se sont enfuis, seule la gouvernante est restée malgré le fait qu’elle ne recevait désormais plus de salaire.

A 5 ans donc, ton arrière-grand-mère a rencontré la guerre : la peur, la faim, des cadavres sur les routes, les avions qui lançaient des bombes, brillantes dans le ciel comme de petits miroirs.

La première fois qu’elle a vu des bombes tomber, elle était fascinée par le spectacle, ne sachant pas ce que c’était, le jour du premier septembre, le premier jour d’école.

Jusqu’à aujourd’hui, elle a peur des avions. Longtemps elle se cachait sous la table, en entendant leur bruit. Paraît-il que nous disposons d’une mémoire génétique : les traumatismes traversent nos cellules à travers des générations (voir: La mémoire du danger transmise à la descendance).

Petite, instinctivement, je me cachais aussi sous la table quand j’entendais des vrombissements d’avions.

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L’arrière grand-mère, à cause des carences peut être, est devenue une toute petite femme de 1,57 m… dans une famille de grands : ses parents et ses frères faisant chacun plus de 1,90 m.

Souvent embêtée par sa petite taille, elle s’est forgée un fort caractère et un tempérament, quelque peu anecdotique. Les assiettes qui volent et les disputes à l’italienne, c’était par ici.

Dans sa vingtaine, elle a épousé un directeur d’écoles, de 10 ans son aîné. Ils se sont rencontrés quand elle a obtenu un poste de secrétaire dans un lycée. Le premier jour, un monsieur l’a importunée, offusquée, elle lui a tiré la langue, elle ne savait pas que c’était son directeur.

Ils se marièrent et eurent deux filles. C’était l’amour de sa vie. Un bel homme qui faisait aussi de la peinture, qui se passionnait d’astrophysique, de poésie, qui a bâti leur maison de ses propres mains, tout en gérant 3 lycées.

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Aujourd’hui, on questionnerait leur relation comme un rapport de forces dans un lien de subordination. Peut être que leur amour n’aurait pas vu le jour, lui, le directeur ne l’aurait pas dragué de peur de passer pour H. Weinstein. Une jeune fille naïve sous la direction d’un homme d’âge mûr…

Après le mariage, elle est devenue femme au foyer, s’occupant de l’éducation de leurs filles : cours de piano, danse classique, la tenue de la maison et de l’immense jardin.

Adepte du « less is more », elle ne se maquillait pas ; sa coquetterie se manifestait avec le coiffeur hebdomadaire et parfois dans un rouge à lèvres carmin lors des grandes sorties. Élégance et rigueur.

La garde robe très chic, il y avait aussi une couturière attitrée pour toute la famille, oui, à l’époque il n’y avait pas de fastfashion…

Jalouse, elle faisait parfois des scènes à son mari, quand il rentrait tard.

J’ai une photo où elle est assise lors d’une réception en tenue de gala, regard inquiet fixé sur quelque chose, chaise vide à côté d’elle, ton arrière grand – père étant parti danser avec une étudiante.

Est-ce qu’il la trompait ou est-ce qu’elle craignait de tout perdre s’il décidait de s’en aller ?

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En tout cas, quand elle a eu 48 ans, il est parti, définitivement. Il est décédé après son opération du cœur. Elle vivait d’une rente de veuvage, cultivait une allée de roses bordeaux au toucher de velours.

La beauté piquait, selon ton arrière grand-mère, et faisait souffrir…

Sa vie s’est dorénavant remplie de prières, de temps dévoué à l’église, à un homme inconnu.

J’ai toujours eu une pensée pour toutes ces femmes croyantes, cherchant la présence d’un dieu, cet être spirituel fort masculinisé, est-ce qu’il remplace l’homme de leur vie ?

Quand j’étais petite j’entendais ma mère lui faire des reproches, qu’elle n’était plus féminine, qu’elle se laissait aller. Est-ce que c’était dû à son deuil, à la dépression ou au passage dans « la zone grise » des femmes de 50 ans, qui sortent de leur zone de séduction ?

Ma mère, elle-même âgée d’à peine trente ans, tentait de la maquiller de force, de faire d’elle une « belle femme », pour lui trouver quelqu’un d’autre.

En tout cas, ton arrière grand-mère ne s’est plus jamais remariée, ni rencontré d’autre homme.

Elle en avait un peu après les hommes, sous entendant le côté animal de leurs pulsions sauvages, l’instinct sexuel qu’il faut subir.

Près de 40 ans de célibat, à vivre « pure », même si à ses 80 ans elle regardait  encore des films romantiques avec ses copines d’église, joues roses et un pichet de vin très sucré. Selon ses dires « même le sexe était beau » dans ces films. Rêvait-elle encore de l’Amour ?

Une vie consacrée aux enfants et petits enfants, à vivre à travers les autres. Jusqu’à dormir sur un lit pliable dans la cuisine de mes parents parce que nous n’avions pas beaucoup de place. Elle tenait à aider, à s’occuper de nous –  ses petits enfants – pour que notre enfance ne se résume pas aux haltes garderies ou à la télévision.

Quand je rentrais de l’école elle était toujours dans la cuisine, mijotait des petits plats et m’écoutait très attentivement, plus que mes parents happés par leur carrière, génération de yuppies.

Sa façon de manifester son amour passait par la nourriture : plus elle appréciait quelqu’un, plus les portions étaient copieuses. Mes repas étaient toujours très copieux…

Des milliers d’heures passées à faire mijoter, à nettoyer des casseroles.

Elle était l’artiste de mon enfance dont elle esquissait le canevas chaleureux d’un doux foyer.

Dans ce qu’elle faisait, combien était d’un conditionnement, de l’héritage de son époque ou d’une réelle envie ?

Est-ce qu’elle se réalisait ou bien son existence était un kaléidoscope de ses proches, des mosaïques en éternel mouvement qu’elle se contentait d’observer ?

Choisir de s’épanouir en tant qu’une personne, en tant que femme, en tant que mère ou grand-mère ? Ou ne pas chercher l’épanouissement personnel mais le sacrifice, s’instrumentaliser au service des autres ?

En tout cas, pour ma mère l’épanouissement et la réalisation de soi, étaient des valeurs fondamentales. La suite au prochain épisode…

LES FAUVES, LES« NO MAKE-UP » ET LES SALOPES

RITUEL

Je me souviens le rituel des poudres scintillantes qui virevoltaient, comme échappées des tableaux de Klimt, que ma mère caressait avec un grand plumeau. La poussière pigmentée, déposée volontairement sur son visage.

Une palette de Kandinsky avec un rituel géométrique, ronds des pommettes, triangles des yeux, lignes des sourcils ; un masque guerrier de séduction, peinture tribale.

Qui affrontait-elle dans ses journées ? Le maquillage mettait une façade, la frontière d’un vernis derrière lequel se cachait ma mère (celle aux yeux doux qui me donnait des bisous et non celle aux yeux de vamp). C’était son jeu avec les autres dans une antichambre des mystères où un enfant n’était pas invité. rainbow-2988276-1152751978890ysufxnsq

Je regardais, fascinée, ce rituel. Un jour, après avoir rougi ses lèvres, elle m’a posé la question

– Tu trouves que je suis plus belle avec ou sans maquillage ?

Elle ressemblait aux mannequins de magazines mais ce n’était pas ma maman.

– Sans maquillage – j’ai répondu spontanément.

Elle a esquissé un sourire et continua à se peindre pour aller à son travail.

Quelques années plus tard je piquais ses condiments bariolés pour, à mon tour, m’apprêter et affronter le monde. Se corriger, se cacher, le teint blafard, des boutons, des petits yeux, toute marque de vulnérabilité camouflée en trompe l’œil. L’indésirable c’est pour les intimes, trop pâle, trop rouge etc.

Je ne sais pas quand c’est devenu un masque, inséparable du dehors, une habitude pire que café-clope pour certains, une addiction.

Dans tes grands yeux je vois l’étonnement. Maman a deux visages, un pour l’extérieur, l’autre pour l’intérieur.

Tu es encore toute petite mais tu m’observes déjà, tous mes gestes quotidiens. Tu observes quand je me lave, m’épile, tends mon visage en grimaces vers un miroir quand je me maquille.

Vêtiras-tu un masque toi aussi ? Par l’obligation sociale avec son regard intransigeant et le souci d’esthétisme ou par un jeu de parade nuptiale à l’instar des animaux ?

Ou tout simplement parce que tu aimes bien dessiner sur ton visage ?

Où démarre une vraie envie et où s’arrête l’intériorisation des dictats de la société ?

KARDASHIAN A 80 ANS

Des youtubeuses gagnent en célébrité avec leurs tutoriels de maquillage, à la télé les émissions de relooking transforment des femmes « négligées « en femmes sophistiquées via une nouvelle coiffure et du maquillage. Sur Instagram les photos populaires montrent des « avant – après », certaines transformations font penser aux effets spéciaux.

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Le buzz est créé par une jeune fille qui maquille sa grand-mère de 80 ans et « le résultat est stupéfiant ». La mamie à l’aide d’un contouring et quelques rajouts collés de féminité, bat des faux cils, caresse avec des faux ongles et fait penser au visage des poupées gonflables ou à la caricature de Kardashian. Pourquoi lui infliger tout ça ?

La vieillesse et la fatigue se masquent pour une femme. La maladie aussi.

Quand je ne me maquille pas, les gens me posent souvent la question si je suis malade ou fatiguée. Parfois quelques commérages disent que je me néglige et fais de la dépression.

DOMPTER CE FAUVE – LA FEMME

Ne pas être « pimpante » c’est être négligé. Ne pas s’épiler les sourcils, ne pas faire de la dépilation.

A ce propos, je n’ai pas encore le courage de traverser une plage avec le maillot ou les jambes non épilées, tellement j’ai intériorisé cette règle. Tellement on a dit que c’était sale et dégoûtant.

Quand tu seras plus grande, je t’expliquerai tout ça.

Ma mère m’a rasée avec un rasoir jetable, peu après mes 12 ans et depuis je répète ce rituel.

Nos corps lissés, l’épilation intégrale s’est imposée.  Pour les 18-20 ans, l’épilation intégrale est  devenue la norme.

Le porno qui a livré la bataille aux poils, qui cachaient trop de choses, touche déjà les culottes des collégiennes.

Comment dompter la femme, lui imposer un contrôle sur son corps sous prétexte d’hygiène, de négligence, du laisser-aller, du manque de féminité, d’esthétisme.

Du « esthétiquement correct » c’est maîtriser chaque coin de son corps.

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Le fauve ressort du corps libre. Dompter, de la tête aux pieds.

Des frisottis au point de cramer les cheveux avec des plaques chauffantes.

Arracher les poils hors de la ligne des sourcils autorisée, les tatouer (le succès phénoménal du microblading).

Arracher des poils du pubis, des jambes, des aisselles.

Contrôler les formes- ventre plat/ fesses rebondies, contrôler ses galbes en chassant la cellulite.

« Prendre soin » de ses mains ou de ses pieds, c’est s’imposer du vernis. Pour se rendre compte à quel point c est absurde c’est qu’il n’existe pas de cet « esthétiquement correct » chez les hommes. Leurs poils ne sont pas « dégueulasses », leur corps ne subissent pas de contrôles à chaque détail, à chaque poil, il n’y a pas de lignes autorisées à ne pas dépasser… Ils vont à la plage décomplexés, ventre bedonnant alors que les femmes sont en guerre avec elles-mêmes quelques mois déjà avant la période estivale.

20 minutes par jour pour façonner son visage, ça fait plus de 121 h par an qu’on pourrait passer à vivre autrement que de se palper devant un miroir.

  LES « NO MAKE-UP » ET LES SALOPES

Puis vient l’injonction de ne pas se maquiller. Certaines filles méprisent celles qui le font, les traitant de superficielles, pouffes, salopes. Se maquiller comme un « camion volé », inciterait au viol, provoquerait les hommes comme si les pigments d’un rouge à lèvres déclenchaient une pulsion sexuelle irrépressible. Maquillée ou non maquillée la femme est chosifiée et subit des injonctions.

Certaines stars revendiquent le mouvement  du no-makeup. On les admire pour cet acte militant (sic !), leur courage d’affronter le monde sans masque, un geste pour la planète (la plupart des produits cosmétiques étant un vrai tableau de Mendeleïev).

Le mouvement se répand à travers des selfies « au réveil », se voulant « naturels ». Une nouvelle injonction apparaît, celle de « belle sans maquillage » car toutes celles qui se maquillent ont quelque chose à « cacher ». Bien évidemment, les selfies passant par de multiples filtres, pris sous un bon angle, sont toujours avantageux. Et se vantant d’une belle peau, les stars ont derrière elles des interventions assez onéreuses de spécialistes en dermatologie ou chirurgie, avec les produits qui vont avec… Honte à celle qui cache ses boutons avec un fond de teint ultra polluant acheté dans un supermarché.

Voilà, ma chère petite fille, ce petit bout de femme à devenir.

Quel que soit ton choix, j’espère que dans quinze – seize ans, te maquiller ou ne pas te maquiller ne sera pas un acte militant ni une obligation intériorisée. Et dans quelques années, quand tu piqueras mes premiers produits de maquillage, comme toutes les petites filles, je ne te gronderai pas que c’est une hyper sexualisation mais juste un petit jeu de l’imitation d’une peinture totémique.

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Peur d’avoir une fille

Les enjeux de féminité des poupées russes

Dès qu’un test de grossesse est positif, on est envahi de projections, de fantasmes entremêlés à des angoisses liées à notre propre histoire.

Certaines femmes préfèrent être maman de garçons. L’idée de faire la colocation avec une autre femme, sous le même « soi », leur fait peur.

Construire une autre femme alors qu’on boite parfois avec notre propre féminité, de nos jours, où l’acceptation de soi est un défi aux multiples injonctions paradoxales.

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Parait-il qu’il est actuellement plus difficile d’éduquer une fille qu’un garçon, les filles étant plus assujetties aux troubles du comportement alimentaire, à la dépression et à l’hyper-sexualisation : «Jamais la féminité n’a été victime d’une attaque aussi soutenue, que ce soit par les publicités de régime, le marketing autour de l’alcool, les diktats de la mode, et l’invasion de la pornographie dans les chambres d’adolescentes» selon Steve Biddulph [1].

L’une de mes deux belles mères m’a avoué avoir été soulagée d’être la maman de deux garçons. L’autre ne s’est pas cachée d’avoir préféré élevé ses garçons plutôt qu’à sa fille qui ne faisait que « pleurnicher ».

Ma belle sœur aussi est contente de n’avoir eu que des garçons quand le troisième a pointé son nez.

A quel reflet de la féminité me renvoie l’hypothèse d’avoir une fille? 

Est-ce de m’exposer davantage à mes propres fragilités et combats?

J’étais très contente de t’avoir eue, 14 ans après mon premier, un garçon, dans une autre étape de ma vie. 

A vrai dire, je sentais que tu étais un petit bout de femme, presque dès tes premières divisions cellulaires. Inexplicable, absurde, je dessinais des petites filles qui affrontaient toute sorte de peurs. Et je disais déjà de toi « elle ». A 58 unités de béta HCG dans le sang!

 Les gens essayaient de deviner qui tu étais à travers la forme de mon ventre.

« Qui es- tu » impossible à définir et différencier autrement que via la définition gendrée, quand ta personnalité n’est pas encore écrite, et ton seul rôle social est celui du « bébé ».

Les inconnus s’essayaient alors « C’est un garçon!». Pourquoi un garçon? « Vous le portez bien haut ». Pourquoi porter une fille jouerait sur mes formes différemment que porter un garçon ? En effet, j’avais le ventre bien pointu en avant pendant mes deux grossesses.

Il y a même des théories comme quoi, in utero, les filles voleraient la beauté de leurs mères. Les vergetures, l’acné, une plus forte prise de poids, tout ça à cause d’un fœtus féminin. Très tôt, culturellement, on introduit l’aspect de rivalité (martelé ensuite par la psychanalyse à cause d’un complexe d’œdipe non résolu, le complexe d’Electre etc.)

Alors que toi, tu me donnais toute la beauté du monde et aucun des maux précédemment décrits.

 Comme tu tardais à naître, on confirmait par contre que tu étais bien une fille, car « les filles sont fainéantes », selon l’adage dans la culture asiatique.

L’ histoire de la mère et de la fille. Tellement de livres écrits dessus sur les liens toxiques.

Tellement de liens tout court.

Comment éduque-t-on à être Femme?

Les schémas amoureux, l’image de soi, la personnalité, la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, l’alimentation – c’ est la mère qui inspire et construit en grande partie le canevas érigé en modèle pour la fille (n’en déplaise aux papas mais c’est surtout la mère qui est sur le banc des accusés quand quelque chose ne va pas, j’y reviendrai dessus une autre fois).

Mais surtout ces liens invisibles. Parait il que, biologiquement, nous sommes programmées de sorte que l’ âge de la ménopause dépend de l’âge auquel la mère a eu sa première fille. Plus tôt c’est, plus vite elle sera ménopausée pour laisser place à la progéniture de sa fille, pour l’ aider à son tour à l’ éduquer [2] : «an evolutionary “mother–daughter contract” hypothe-sis that suggests that the oldest daughter helps her mother to raise younger siblings but, in return, expects her mother to cease her reproduction, shifting energy and time once her daughter’s childrenare born » 

Je suis issue d’une lignée de femmes qui ont eu toutes, à 23 ans, une fille. J’ai eu également un enfant à 23 ans. Ce fut un garçon. J’ai rompu la tradition.

Ma mère, très jeune grand-mère de 46 ans ne vivait pas très bien son nouveau statut familial. Elle ne voulait pas qu’on appelle « mamie » à cet âge. De nos jours, les grossesses à 46 ans ne sont pas rares. C’était comme si je la dépossédais de la procréation, de son « sex-appeal »- drôle de mot, charme du sexe dont les canons sont érigés par la fécondité. Car la société dans laquelle elle a grandi l’a façonnée ainsi, que l’ importance et l’intérêt accordés aux femmes sont liés à leur jeunesse, sous-entendant le potentiel de procréation. A un moment elles disparaissent de la scène, infertiles, les visages et les ventres gribouillés par le temps. Les baudruches dégonflées. Et toutes celles qui essaient de s’imposer autrement sont socialement très peu visibles.

Son petit fils devait l’appeler par son prénom ou autrement que « mamie » qui renvoie aux archétypes de la vieillesse: lunettes, cheveux coupés courts ou en sage chignon gris, tricot et gâteaux faits maisons. A la naissance de mon fils ma mère portait des minishorts et s’était faite faire des tresses africaines. A la naissance de ma fille, quatorze ans plus tard, ma mère ne se maquillait plus et a arrêté de se teindre des cheveux.

 

Ce blog a pour vocation d aborder toutes les questions qui me taraudent avant et après ta naissance dans l’époque où les certitudes sont abolies et la conscience féministe érige de «nouvelles règles », après une apocalypse du mouvement « me too » mais où on vit encore avec un corset de transmission familiale, un imagier culturel sexiste, un style de féminité protéiforme et très contradictoire.

Il s’adresse à toi, à moi et aux femmes que nous sommes.

Répondre avant ta naissance « c’est une fille » c’était déjà te donner une identité de lourds construits sociaux, une histoire des femmes.

[1] Raising Girls, Steve Biddulph

[2] Timing of natural menopause covaries with timing of birth of a first daughter: Evidence for a mother–daughter evolutionary contract? A. Galbarczyk∗ , G. Jasienska HOMO – Journal of Comparative Human Biology